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Le rôle de la moto au cinéma

Usual Suspects, diffusion du lundi 05 février 2018 à 23h00

Cinq gangsters semblent réunis par le hasard pour un casse. En fait, ils sont manipulés… Brillantissime scénario en forme de poupées russes. L’arnaque du siècle ! Critique : l n'y a pas de hasard : ce serait trop beau. Il n'y a pas de hasard : ce serait trop facile. On croit faire ce que l'on veut, on s'imagine être libre de ses actes. Et puis, l'on se retrouve, fait aux pattes, piégé dans une histoire qui n'a pas de sens et qui devient encore pire dès qu'on cherche à lui en trouver un. Ils sont cinq. Cinq petits gangsters, ramassés par la police pour un détournement d'un camion d'armes qu'ils n'ont pas commis. Le plus barge, c'est sûrement McManus (Stephen Baldwin), qui travaille ­ et vit, peut-être ­ avec Fenster (Benicio del Toro). Un élégant, vaguement dédaigneux, qui parle un sabir amerloque que personne ne comprend. Parmi les cinq, Hockney (Kevin Pollak) : lui n'en a vraiment rien à foutre, mais vraiment rien de rien, de ce qui lui arrive. Capable de résister indéfiniment à des flics qui lui cognent dessus, par habitude plus que par enthousiasme, puisqu'ils savent qu'ils ne tireront rien de lui. Il y a aussi Kint le boiteux (Kevin Spacey), surnommé « Verbal » parce qu'il n'en finit jamais de parler trop. La preuve : c'est lui qui sera le narrateur de cette histoire... Et puis, le dernier, mais pas le moindre, Keaton (Gabriel Byrne). Le plus étonnant, le plus mystérieux de tous. Un ex-flic devenu ripou, considéré comme mort depuis des mois et qui vient de réapparaître, amoureux de son avocate et bien décidé à devenir honnête. Honnête ! Tu parles ! Encore une foutaise, comme le hasard. Ou comme l'idée idiote que tu aurais la liberté de choisir ton destin ! A partir du moment où il se retrouve en compagnie des quatre autres, là, dans ce commissariat où la fatalité l'a amené, son sort est jeté. Keaton sera prisonnier ­ à moins qu'il n'en soit l'instigateur, qui sait ? ­ d'une machination parfaite dont personne ne sortira vivant. Sauf un. Keyser Sösé. Drôle de nom. Drôle de type. Mais ce nom et ce type font frissonner. Qui est-il ? Nul ne le sait. Où se cache-t-il ? Impossible de le savoir. Peut-être se dissimule-t-il sous l'identité de McManus ou de Keaton : il en serait bien capable ! A moins qu'il n'observe, invisible mais omniprésent, les cinq gangsters qu'il a réunis, pour mieux leur faire accomplir une de ces terribles vengeances dont il a le secret. De folles légendes courent sur son compte : jadis, dans sa Hongrie natale, il aurait préféré exterminer sa famille plutôt que de céder au chantage de trafiquants rivaux. Aujourd'hui, il semble diriger tous les trafics de drogue et d'armes de la planète. Ou presque. Certains le considèrent comme un vrai génie du crime moderne. D'autres ne voient dans ce Fantômas qu'un fantôme, une de ces légendes que se racontent les bandits, le soir, à la veillée, pour hurler de peur... Vous vous souvenez de Françoise Rosay (madame Molyneux), dans Drôle de drame, après l'arrestation de son mari ? Outrée, elle entendait de braves parents menacer ainsi leurs enfants : « Si tu ne manges pas ta soupe, le Molyneux viendra et il t'emportera ! » Sauf que Keyser Sösé, malheureusement pour les héros de Usual Suspects, semble bien réel et nettement plus cruel que le pauvre Michel Simon dans le film de Carné. Keyser Sösé, c'est le Mal à l'état pur. Pur, au sens le plus noble du terme. A savoir épuré. Tranquille. Sûr de lui. Invulnérable. Ce qui est fascinant, chez Bryan Singer, c'est qu'à l'image de son héros il avance masqué. Son scénario ressemble à des poupées russes qui révéleraient un piège, puis un autre, encore un, puis, enfin, le dernier, dont on ne se méfierait pas ­ il est si petit ! ­, mais qui, celui-là, vous explose à la gueule. Constamment, tout se dérobe. On va de chausse-trape en chausse-trape. Ce que l'on croyait vrai l'instant d'avant devient doute l'instant d'après. On navigue entre un être diabolique, mais invisible, un flic vivant que l'on croyait mort et une cargaison de drogue qui ne sera qu'un mirage de plus Comme dans tous les grands romans et films noirs, c'est la désillusion qui l'emporte. Même si Bryan Singer se paie le luxe de filmer quelques scènes spectaculaires (un hold-up en pleine rue, une prise d'otages dans un ascenseur), c'est lorsqu'il retrouve les thèmes classiques du thriller qu'il convainc le plus. Péché originel. Rachat impossible. Passé dérisoire. Futur illusoire. C'est pourquoi on ressent comme une douleur la réplique de McManus, à Los Angeles. Il est au volant de sa voiture et se dit à voix basse, presque malgré lui : « Il doit pleuvoir à New York. » Réflexion banale, inattendue, presque ridicule. Si ce n'est que New York à cet instant, pour lui, c'est la survie qu'il n'aura pas. McManus et ses potes ont rendez-vous à L.A., comme d'autres l'avaient à Samarkand... Alors, oui, bon, des coquetteries, il y en a. Exemple : ce travelling qui s'échappe d'une tasse de café, pour cadrer le flic des douanes (Chazz Palminteri) qui continue d'interroger le narrateur. Mais, coquetterie, c'est vite dit, puisque ce mouvement incongru trouve sa place et sa justification, avec plein d'autres indices, dans le puzzle qui, une fois rassemblé, dévoilera, enfin, la vérité... Que Bryan Singer (27 ans et deuxième film) soit habile, ah oui, assurément, il l'est ! Que fera-t-il de son habileté : des démons ou des merveilles ? On verra plus tard. Pour l'instant, saluons un jeune homme qui, en rendant au cinéma américain son invention, son humour et son insolence, réussit le plus beau thriller de l'année. Montage superbe. Musique à la Bernard Herrmann (l'un et l'autre sont dus à John Ottman). Et, bien sûr, dominant tous les personnages, Keyser Sösé. Mi-Mabuse, mi-« Marque jaune ». Un type qui est le double du cinéaste, puisqu'il fait, à chaque instant, triompher l'imaginaire. Un type qui joue et se joue des au- tres. Un type capable de souffler sur la paume de sa main et, hop, de disparaître, tel un magicien... - Pierre Murat

Le rôle de la moto au cinéma

Usual Suspects, diffusion du jeudi 01 février 2018 à 21h00