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Paul Celan, écrire pour rester humain, diffusion du mercredi 19 septembre 2018 à 02h50

C'est à Czernowitz, en Bucovine, dans l'actuelle Ukraine, que naît en 1920 Paul Antschel, qui prendra le nom de Paul Celan après la guerre. De culture juive et de langue allemande, issu d'une région rattachée à la Roumanie puis à l'Union soviétique, il sera toute sa vie un déraciné. Après une adolescence romantique et anarchiste, il étudie la médecine à Tours quand éclate la Seconde Guerre mondiale. Ses deux parents mourront en déportation, et lui-même survivra aux camps de travail. De Vienne, où il se lie à l'écrivaine Ingeborg Bachmann, à l'Allemagne, d'Israël à l'Ecole normale supérieure de Paris, le poète errant gardera toujours la cicatrice de l'horreur, qui marque son écriture. Hanté par l'ombre des suppliciés, il traverse plusieurs phases dépressives, et se donnera finalement la mort à 50 ans en se jetant dans la Seine. Critique : Qui lit ces vers de Paul Celan ne peut plus passer son chemin, et s'immobilise dans des abîmes illimités : « Lait noir de l'aube nous le buvons le soir / le buvons à midi et le matin nous le buvons la nuit / nous buvons et buvons / nous creusons dans le ciel une tombe où l'on n'est pas serré. » Il s'agit du début de Fugue de mort, le plus douloureux des poèmes jamais écrits sur la Shoah. Comment rendre hommage, en images, à l'auteur qui a passé son existence à jeter des mots dans les cendres des morts, persuadé qu'il y avait « encore des chants à chanter au-delà des hommes », et qui finit par se jeter dans la Seine, en 1970, pour rejoindre à jamais ces disparus qui le hantaient ? Ce documentaire choisit de s'attarder sur trois visages. Le visage du poète, d'abord, dont un gros plan ralenti, repris jusqu'à l'hypnose, montre la ténacité fiévreuse, lorsqu'il lisait ses poèmes écrits en allemand, « dans la langue du bourreau », au fil de voyages répétés en « terre d'angoisse », alias l'Allemagne d'après guerre. Le visage de son fils Eric, dont chaque intervention est un modèle de retenue et de partage. Enfin, le visage du traducteur, Bertrand Badiou, qui offre des éclairages concis et lumineux sur la fascination de Celan pour Hölderlin, ou sur la richesse de sa correspondance avec Ingeborg Bachmann, porteuse de « traces partielles d'une impossibilité », le secret de toute son oeuvre. — Marine Landrot