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Le rôle de la moto au cinéma

Le mystère Jérôme Bosch, diffusion du dimanche 14 octobre 2018 à 22h30

Le terrifiant Jardin des délices, œuvre énigmatique du XVe siècle, mi-profane mi-religieuse, est le sujet de ce documentaire érudit, foisonnant d'hypothèses et d’anecdotes. Critique : Abbas Kiarostami, le grand cinéaste disparu en juillet, filmait, ces dernières années, des visiteurs dans les musées, leurs regards contemplatifs face à des toiles. Il y a un peu de cette démarche dans Le Mystère Jérôme Bosch, documentaire espagnol qui s'ouvre (et se referme) sur des images d'anonymes admirant le triptyque du Jardin des délices, au Prado de Madrid. Avec la suggestion d'un effet miroir entre le sujet de l'oeuvre scrutée et ceux qui la regardent. Mais, très vite, le film emprunte une route un peu plus balisée : les fans de Jérôme Bosch convoqués par le réalisateur sont tous artistes, his­toriens de l'art ou intellectuels, la plupart célèbres, avec une parole brillante et structurée. On gagne ainsi en érudition ce qu'on perd en originalité formelle : par sa succession d'éclairages, ce documentaire se veut avant tout une invitation au voyage dans une oeuvre aux énigmes inépuisables. Plus on s'approche, plus le tableau devient complexe, vestige du Moyen Age et d'un « monde pré-cartésien », où l'on s'accommodait de multiples significations contradictoires pour un même élément. A la fois religieux et profane, en même temps dionysiaque et effrayant, Le Jardin des délices s'est d'abord intitulé La Variété du monde, puis, étrangement, Les Fraises. Jérôme Bosch, dont on sait peu de choses, sinon qu'il cuisinait le cygne comme personne, l'a peint à des fins de divertissement autant que d'éducation. Plus tard, un duc d'Albe a fait arracher les ongles d'un gardien de palais pour mettre la main sur le triptyque dissimulé... José Luis López-Linares organise une avalanche d'anecdotes historiques puis d'interprétations et de rapprochements avec l'art moderne (Gaudí, Dalí, et même Miyazaki) et l'Histoire récente (Woodstock). Avec un autre tableau, le film aurait peut-être les mêmes vertus et limites que ces casques audio à disposition dans les musées. Mais le foisonnement inouï du Jardin des délices prête, à force de motifs agrandis et analysés, à une jubilation qui tient aussi de l'incertitude totale. Même un expert familier de l'oeuvre se laisse soudain happer par tel détail et se perd en conjectures devant un lapin surdimensionné dont le regard exprimerait « un mélange d'indifférence et de malveillance » à l'égard des humains. Eloge de la polysémie... — Louis Guichard