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Le dernier des injustes, diffusion du mardi 23 janvier 2018 à 23h20
Lanzmann ajoute un nouveau chapitre indispensable à "Shoah" avec cette réhabilitation de l'ancien président du conseil juif de Theresienstadt. Les paroles, parfois ironiques, de Benjamin Murmelstein, interrogé en 1975, alternent avec de longues séquences contemporaines, au cours desquelles Lanzmann se met en scène avec gravité sur les lieux de la barbarie nazie. Poignant. Critique : Depuis la sortie de Shoah, en 1985, Claude Lanzmann n'a cessé de se replonger dans les dizaines d'heures de rushes inédits, accumulés pendant dix ans, pour approfondir son récit de l'extermination des Juifs d'Europe. Après Sobibor, 14 octobre 1963, 16 heures (sur les révoltés des camps), Un vivant qui passe (sur le délégué de la Croix-Rouge Maurice Rossel) et Le Rapport Karski (sur le résistant polonais), voici Le Dernier des injustes. C'est sous ce surnom, tout en autodérision, que se présentait Benjamin Murmelstein. Nommé président du conseil juif de Theresienstadt, le « ghetto témoin » édifié près de Prague, cet ancien rabbin était chargé de faire appliquer les ordres des nazis : désigner, donc, ceux qui devaient partir vers les camps. Seul « doyen des Juifs » à avoir survécu, Murmelstein, accusé d'avoir été un collabo à la fin de la guerre, est innocenté après dix-huit mois de prison en Tchécoslovaquie. Mais jamais il n'a osé se rendre en Israël, par peur des représailles. Quand Claude Lanzmann le rencontre dans son appartement de Rome en 1975, l'homme a beaucoup à dire. Et il le dit : ses actions pour faire émigrer les Juifs de Vienne avant 1940, l'implantation avortée d'un premier ghetto « modèle » en Pologne, les horreurs vécues à Therensienstadt, la haine dont il a été victime après la guerre... En découvrant ces images aujourd'hui, on comprend pourquoi Claude Lanzmann n'a pas voulu les intégrer à Shoah : la faconde et l'humour de son interlocuteur n'étaient pas vraiment raccord avec la tonalité tragique de son film-monument. Car Murmelstein est un conteur hors pair, un orateur à la tchatche phénoménale, conscient d'avoir été « une marionnette » des nazis, certes, mais une « marionnette qui avait appris elle-même à tirer les fils ». Le concept de la « banalité du mal », forgé par Hannah Arendt à partir de l'exemple d'Adolf Eichmann, le fait bien rigoler : Eichmann, il l'a côtoyé (et affronté) pendant des années et n'a pas vu en lui un petit fonctionnaire zélé, mais un « démon », un pervers enragé, affairiste et violent. Lanzmann ne ménage pas son interlocuteur : ses questions sont précises, il relève toutes les contradictions des réponses. Au fil des échanges, cependant, la méfiance mutuelle se transforme en complicité. Le Dernier des injustes observe un homme qui, placé dans des circonstances extrêmes, n'a jamais abdiqué son humanité. Evidemment, Claude Lanzmann se met lui-même en scène trente-huit ans après sur les lieux mêmes de la barbarie nazie. La démarche est moins assurée qu'en 1975, mais la voix reste ferme, vibrante, quand, devant le gibet de Theresienstadt, il dit, et redit encore, les souffrances des déportés. Ces séquences, graves jusqu'à la solennité, tranchent avec le ton ironique des conversations avec Murmelstein. En dépit de nombreuses longueurs, elles n'en restent pas moins d'une beauté poignante. — Samuel Douhaire