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Jason Bourne : l’héritage, diffusion du dimanche 04 mars 2018 à 21h05

La CIA lave son linge sale en éliminant une unité d'agents d'un genre nouveau. Mais l'un d'eux résiste et s'enfuit : amnésique, en quête d'identité et plus fort que tous, comme Jason Bourne avant lui. La course est brillamment relancée dans ce thriller percutant et soigné, mené par un étonnant Jeremy Renner. Critique : Qui est Jason Bourne ? Personne. Un homme sans identité, qui ne sait rien de son passé. Et, depuis dix ans, un des héros les plus populaires du cinéma. Son défaut de personnalité est, paradoxalement, son atout. Tout en ne faisant que courir pour échapper à des hommes qui, eux, savent quelque chose de lui et veulent l'éliminer, tout en ne faisant que tuer pour sauver sa peau, Bourne porte un message qui le distingue du premier porte-flingue venu : on ne peut être réduit à ce que l'on fait ou à ce que les autres nous font faire. A sa manière, Bourne est le champion de l'affirmation de soi. Quand les justiciers du cinéma cèdent aux clins d'oeil et au second degré (James Bond en premier lieu), Bourne ne dévie pas de sa course : une affaire de liberté, d'absolu. Incarné par Matt Damon dans La Mémoire dans la peau (2002), La Mort dans la peau (2004) puis La Vengeance dans la peau (2007), le personnage avait été largement façonné par le travail du cinéaste Paul Greengrass, auteur du deuxième et du troisième volets. Son style « caméra au poing » insuffla à Bourne une vérité poussée jusqu'aux limites du réalisme. Quasiment un reportage sur un homme en fuite. Difficile d'aller plus loin dans cette direction. Jason Bourne : l'héritage ouvre donc de nouvelles pistes en réactivant le thriller d'espionnage dans la tradition des romans de Robert Ludlum, l'inventeur de Bourne. Lequel n'est plus qu'un visage sur une fiche de renseignements, dans un bureau d'une division non officielle de la CIA. D'autres hommes sans passé sont fichés comme lui, amnésiques, dont on avait fait les cobayes d'un programme destiné à former des agents d'un genre nouveau. Mais l'expérience est devenue compromettante pour la CIA, qui décide de supprimer ces agents. L'un d'eux résiste, survit. Il s'appelle Aaron Cross, et il a toutes les qualités de Bourne : il ne sait pas d'où il vient, mais il sait s'échapper de partout. En relançant la course (pour longtemps, on peut le parier), le cinéaste Tony Gilroy l'actualise aussi. Il explore un univers de nouvelle guerre technologique, intrigant et inquiétant. Au-delà du plaisir de suivre une course-poursuite avec un drone chargé de missiles, l'intrigue éclaire des zones d'ombre du monde militaire d'aujourd'hui, où l'on projette de « fabriquer » des soldats plus résistants, car génétiquement modifiés. Une vision de la défense armée post-11 Septembre et post-Irak, qui se développe, selon Tony Gilroy, dans des agences gouvernementales américaines spécialisées où il a enquêté. De quoi ouvrir efficacement l'imaginaire du film, et lancer de nouvelles hypothèses sur l'agent inconnu, Aaron Cross. Et si son histoire effacée se trouvait en partie dans les nouvelles guerres de l'Amérique ? La quête de l'identification se poursuit, à la fois fidèle aux codes des films précédents et renouvelée. En tant que scénariste de la saga Bourne depuis ses débuts, Tony Gilroy a montré qu'il savait jouer à cache-cache avec la vérité, en dire juste assez, mais pas trop. Son regard de cinéaste est plus direct. Ainsi, le premier décor du film, les montagnes Rocheuses désertiques et hivernales, est utilisé comme un reflet du personnage, de son silence et de son isolement. Plus tard ce sont, à l'opposé, les rues bondées de Manille qui deviennent un révélateur. Au milieu de la foule, Aaron Cross suit toujours son chemin solitaire : le monde extérieur n'existe pas pour lui. Sinon pour s'en extraire, en incroyable acrobate. On sent que Tony Gilroy a pour ce personnage aussi athlétique que refermé sur lui-même une fascination réelle, une affection aussi. Brillamment secondé par le chef opérateur Robert Elswit (oscarisé pour There will be blood), il filme son héros en donnant l'impression de vouloir faire corps avec lui, aussi bien mentalement que physiquement. Une ambition que réalise pleinement l'acteur Jeremy Renner, qui interprète Aaron Cross tout en intériorisation et tout en mouvement. Ce doublé donne un film d'action intelligent. Sérieux, convaincant, sans pesanteur. — Frédéric Strauss