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Le rôle de la moto au cinéma

Iranien, diffusion du mercredi 13 décembre 2017 à 00h35

Ce formidable documentaire met face à face quatre mollahs et le réalisateur, un Iranien athée, exilé en France. Drôle, dérangeante, l'expérience est passionnante. Critique : Iranien résidant à Paris, Mehran Tamadon n'est pas un opposant ordinaire au régime de Téhéran. Ce documentariste invite ses adversaires au dialogue. Dans Bassidji (2009), il allait seul au-devant de militants pro-régime pour tenter de les comprendre. Cette fois, c'est aux mollahs, piliers érudits de la République islamique, qu'il propose de partager une expérience. Elle consiste à passer deux jours et une nuit sous le même toit, dans une maison non loin de la capitale iranienne. Le salon sera l'espace commun où les uns et les autres devront inventer des règles pour « vivre ensemble ». Il aura fallu trois ans pour convaincre quatre mollahs de jouer le jeu... Une éternité, jalonnée d'interrogatoires et d'intimidations, qui en dit long sur le courage du réalisateur, lui-même exposé tout le temps, au même titre que ses interlocuteurs. Mais le résultat en vaut la peine : en déplaçant l'affron­tement sur le terrain de l'hospitalité, ce « loft story » dialectique surprend et passionne. Contre toute attente, les suppôts de l'obscurantisme sont des hommes sympathiques, souvent drôles. On ne les avait guère imaginés le visage riant, smartphones et ordi­nateurs en bandoulière — ils utilisent même un improbable logiciel de référencement des fatwas. Lors des repas, des moments de détente sur la terrasse, la chaleur des échanges évoquerait presque des vacances entre amis. Et, quand le dialogue s'instaure, il a beau être vif, il est toujours cordial... au point de faire froid dans le dos. Car, hors du cadre pacifique défini par le réalisateur, on ne peut l'oublier, ses contradicteurs ont tout pouvoir de lui nuire. La laïcité (« C'est votre religion, et une vraie dictature ! » accuse un mollah), la place des femmes, le respect des con­victions de chacun, le pluralisme... ­Assis sur des tapis persans, l'« impie » et les croyants font assaut de raisonnements plus ou moins brillants ou fallacieux. Parfois aussi désarçonnés que le cinéaste, on s'agace du manque de repartie de notre porte-voix : le film parvient ainsi à susciter le désir chez le spectateur d'en découdre avec ces figures de l'altérité. Mais s'il ne cloue pas toujours le bec à ceux qui veulent l'empêcher de parler, Mehran Tamadon, l'athée exilé, fils de communistes sous le chah, réussit, le temps d'un film, le plus difficile : faire entendre sa différence en Iran. — Mathilde Blottière