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Le rôle de la moto au cinéma

Eden, diffusion du mardi 20 mars 2018 à 00h40

A travers le portrait d’une génération, et d'un DJ aux rêves échoués, la réalisatrice de Tout est pardonné signe une belle oraison sur la jeunesse perdue. Critique : Histoire d'une réussite éphémère, illusoire, voire d'un échec : avec Eden, le film biographique présente une variante rare, qui mérite l'attention. A peine arrivé dans la lumière, son héros retombe dans l'ombre, malgré sa passion, sa persévérance et son charme. Il y a bien, dans le récit, une ascension, mais c'est celle des Daft Punk, qu'on croise de loin en loin, toujours plus prospères et inspirés. Le personnage principal, Paul, est condamné, au fil des années, à en être le témoin ébloui et meurtri. Cette manière de raconter une époque (les années 1990 et 2000), un courant musical (la French Touch) et une génération (approchant aujourd'hui la quarantaine) à travers une déroute, voilà qui donne toute sa singularité au quatrième film de Mia Hansen-Løve. Paul est un personnage à peine fictif, directement inspiré par le frère de la cinéaste, Sven Hansen-Løve, également coscénariste du film. Assidu des raves, passionné de musique électronique, Paul/Sven, encore lycéen, crée, avec son meilleur ami, le duo de DJ Cheers. Le succès de leurs soirées en fait vite des figures de la nuit parisienne. Ils embrassent intensément le présent : la musique, l'amitié, les amours, les drogues, les fringues — dans un ordre aléatoire. Mais le point de vue de Mia Hansen-Løve est celui de l'après. D'où la tristesse, légère, subtile qui, déjà, infuse les premières années, les plus heureuses. L'éden du titre (référence à un fanzine d'époque) est d'emblée volatil. Paul explique d'ailleurs que la musique garage — un genre de house —, sa spécialité, son obsession, oscille entre euphorie et mélancolie. Ce mélange est l'un des attraits de la jeune cinéaste depuis Tout est pardonné. Mais il prend une ampleur nouvelle en s'appliquant à un portrait de groupe. Plus encore que les platines de Paul, la valse des filles et des potes autour de lui donne le tournis. Départ de la bien-aimée américaine (Greta Gerwig), pressée de clore ses années de bohème. Suicide du copain tourmenté qui dessinait les autres en vue d'une chronique graphique (un fait tristement authentique). Succession des amantes, plus ou moins attachées, plus ou moins cocaïnomanes, dans le lit du héros, sous les toits : Pauline Etienne en amoureuse lunatique, Laura Smet en noceuse toxique, Golshifteh Farahani en témoin de la dégringolade. Il est alors fascinant de voir la cinéaste retrouver les marques exactes de ses précédents scénarios. Dire à nouveau la perte de soi, comme un vertige, puis une lente et incertaine reconquête, dans le dénuement et la solitude la plus crue. Sur fond de nuits blanches, de foules en liesse ou de bande d'amis, l'intimisme limpide de la réalisatrice prend encore plus de relief. Son acteur, Félix de Givry, est, de bout en bout, suivi avec une délicatesse qui rappelle Oslo, 31 août (de Joachim Trier) et son bouleversant fêtard dégrisé, en fin de course. L'amour de jeunesse — titre du précédent Mia Hansen-Løve — dont il faut faire le deuil est, cette fois, la musique. Mais c'est aussi, évidemment, la jeunesse elle-même. — Louis Guichard