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Dans la maison, diffusion du mardi 24 avril 2018 à 13h35

Un prof entre dans le jeu d'un élève doué qui lui remet des dissertations sur la famille de son meilleur ami… Un trompe-l'œil troublant : François Ozon manipule spectateurs et personnages. C'est constamment brillant, intelligent, féroce…
Critique : Je manipule, tu manipules, François Ozon manipule... Tous les cinéastes manipulent, bien sûr, mais lui plus que les autres. A ses débuts — dans Sitcom ou Les Amants criminels —, on sentait un rien trop son plaisir à transformer ses personnages en pions et ses spectateurs en jouets. Puis, la tendresse, insensiblement, s'est infiltrée dans des films comme Le Temps qui reste. Et la douceur dans Le Refuge. Sans que s'affadissent l'ironie du cinéaste, son insolence, son amour du jeu (et du « je » : le goût des autres allant souvent de pair avec le goût de soi). L'osmose entre l'ancien François et le nouvel Ozon aboutit à ce film, son meilleur, petit chef-d'oeuvre troublant, subtil. Un film qui charme, qui étonne, qui excite. Qui nous mène par le bout du nez, une fois encore, mais si aisément qu'on est ravi de se laisser séduire. L'habileté du cinéaste est telle qu'on a l'impression d'inventer, soi, ce que l'on découvre sur l'écran : on tire les ficelles, on s'infiltre dans les méandres de l'intrigue, dans les pensées des personnages. On se sent coscénariste, cometteur en scène. La boîte à fantasmes d'Ozon joue à plein... Germain (Fabrice Luchini) est un prof de français, marié à la gérante d'une galerie d'art (Kristin Scott Thomas). C'est un prof ordinaire dans un lycée qui prétend ne pas l'être (on vient d'y imposer l'uniforme !). Un quinquagénaire, vaguement las de devoir — ordre de l'administration — appeler « apprenants » des élèves justement si peu désireux d'apprendre. Sauf un petit blond, toujours au dernier rang de sa classe. Lui n'écrit pas mal. Alors que ses camarades ont raconté leur week-end avec une pauvreté stylistique à faire se flinguer de désespoir n'importe quel enseignant digne de ce nom, il a décrit une journée passée chez son meilleur ami. En des termes étranges, parfois incongrus, presque méprisants. Et il a conclu sa dissertation par ces mots étranges : « A suivre... » Intrigant, cet « à suivre ». Intrigué, donc, Germain suit cet élève doué là où il veut le mener. Est-ce vrai, est-ce faux, ce qu'il lui raconte sur le père de son copain, si fruste, sur sa mère, si médiocre, si désirable ? Ce feuilleton presque quotidien, qu'il commente avec sa femme, d'ailleurs, lui devient vite indispensable. Comme un shoot. Le voilà prêt à prendre des risques pour continuer à jouer les voyeurs littéraires auprès de cet ado à qui on donnerait le bon Dieu sans confession. Sauf que le regard de Claude (Ernst Umhauer) s'éclaire parfois d'une lueur bizarre, comme pour suggérer une perversité qui ne demanderait qu'à s'épanouir. Les films d'Ozon sont tous des machineries parfaites qui soudain implosent en emportant dans les décombres l'ordre, la morale et — son thème privilégié — la famille. Dans Sitcom, le père devient un rat géant que les siens doivent détruire pour survivre. La mère si peu mère du Refuge abandonne son enfant dans les bras d'un gay paternel. Ici, un ado — pour oublier ses origines ou par pur plaisir, allez savoir — défait la vie de celui qui l'avait choisi pour fils... Dans la maison est si drôle, si soyeux, si rythmé (grâce à Fabrice Luchini et Kristin Scott Thomas, notamment, couple étincelant qui évoque les duos des comédies hollywoodiennes de jadis) que la noirceur avance masquée... Pour le cinéaste, le film sonne, en tout cas, comme un manifeste. Sur le métier de créateur. Sur l'art de diriger comédiens et... spectateurs ! Dans une époque pénible où pullulent les histoires vraies, où romanciers et cinéastes collent à leur vie comme à leur nombril, François Ozon, qui a toujours inventé ou adapté des histoires bizarres ou folles de fantôme obsédant (Sous le sable) et de bébé ailé (Ricky), affirme ici l'importance de l'artifice. De l'imagination. De l'évasion. La fiction, il n'y a que ça de vrai. La fiction où l'on s'égare, où l'on se perd, où l'on progresse en croyant régresser, où l'on ne découvre pas celui qu'on est, mais celui qu'on ne veut surtout pas devenir. Soudain, le prof et l'élève regardent dans un immeuble, tels des voyeurs de Hitchcock et de son Fenêtre sur cour, des êtres qui s'aiment, se disputent, se tuent. Destins minuscules, passionnants, dignes d'être racontés. Ou rêvés. On en revient alors à la formule magique qui, de tout temps, a fait vibrer lecteurs et spectateurs par les plaisirs qu'elle promet : « A suivre... » — Pierre Murat
Extrait
Lui Ce garçon a le don pour écrire. J'essaie juste de lui apprendre - même si le mot est pompeux - la littérature. Les choses de la vie...Elle Les choses de la vie !... Mais la littérature ne nous apprend rien, tu le sais bien...Lui Ah bon ?Elle Tu sais ce qu'il avait dans sa poche, le cinglé qui a tué John Lennon ? L'Attrape-coeurs de Salinger. Elle lui a appris quoi, la littérature, à ce con-là ?Lui C'est évident que tes expositions sur l'art abstrait nous en apprennent davantage !Elle Mes expositions, c'est exactement la même chose. L'art, en général, ne sert à rien et tu le sais très bien.Lui Sinon à nous éveiller à la beauté des choses.

Dans la maison, diffusion du lundi 16 avril 2018 à 13h30
