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Baccalauréat, diffusion du mardi 03 avril 2018 à 01h05

Pour aider sa fille à réussir l’examen, un médecin roumain est pris dans des compromis en série. Satire implacable d’une société où règne la corruption. Critique : Dans les années 70-80, on parlait du « cinéma de l'inquiétude morale ». Ce courant, venu de l'Est, et surtout de Pologne, avait deux Krzysztof comme hérauts : Kieslowski (Le Décalogue) et Zanussi (La Constante). L'Ouest se fichait un peu de « l'inquiétude morale ». Mais ce thème a continué de hanter les cinéastes dont l'adolescence — et le quotidien de leurs parents — avait été marquée par le poids du communisme. En Roumanie, nul ne pouvait éviter cet angoissant dilemme : se compromettre ou pas. Ruser ou sombrer... Le talent de Cristian Mungiu, révélé par 4 Mois, 3 semaines, 2 jours (Palme d'or du festival de Cannes 2007), c'est de rendre pratique cette angoisse. On est constamment dans le concret. Dans l'instant précis où l'individu est contraint de se soumettre ou se démettre. Le héros de Baccalauréat est un médecin prénommé Roméo, dont il n'a pas vraiment le physique : la cinquantaine, un peu d'embonpoint et une jeune maîtresse qu'il a opérée avant de la séduire (!) et dont on ne sait trop si elle l'aime pour lui, par reconnaissance ou pour ses relations. Car il semble que le but de chaque Roumain soit de forcer l'autre à lui être redevable. Tout le monde se rend « des services », impossible de vivre sans... Contrairement à son épouse, pour qui les mots « devoir » et « honneur » ont encore de l'importance, Roméo n'est plus l'idéaliste qu'il était. Son attente des lendemains qui chantent n'a pas résisté aux Ceausescu, à la peur ambiante, à la pauvreté permanente. Mais aussi, sans doute, à sa propre médiocrité. Sa seule obsession, désormais, est de sauver sa fille : si elle obtient une moyenne de 18 à son bac, elle bénéficiera d'une bourse qui lui permettra de quitter ce fichu pays et d'étudier en Angleterre. Plutôt douée pour les études, l'adolescente se fait agresser, la veille des examens. Elle rate une partie des épreuves... Roméo demande un peu partout « des services ». En échange d'un foie tout neuf, un homme influent lui promet d'intervenir auprès d'une ponte qui pourra corrompre le correcteur des copies... Roméo accepte, Roméo fonce sans entrevoir le piège qui, évidemment, se referme sur lui. C'est cet engrenage que décrit Cristian Mungiu avec une froideur presque suave, où les faits (une vitre brisée) angoissent autant que les sentiments. Les plans-séquences qu'il affectionne, qu'il fait durer le plus possible lui permettent de créer un suspense physique sur une errance morale. La satire sur la corruption vire au polar noir : on contemple, par vagues successives, un homme qui se noie... S'il complique inutilement son scénario dans la dernière demi-heure, Cristian Mungiu reste jusqu'au bout fulgurant. En osmose avec son comédien, Adrian Titieni, étonnant dans l'autodérision, comme savaient l'être Ugo Tognazzi et Alberto Sordi, les grands Italiens de jadis. — Pierre Murat
