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Argo, diffusion du dimanche 28 janvier 2018 à 21h00
Pendant la prise d'otages à l'ambassade américaine de Téhéran en 1979, la CIA organise l'exfiltration de six Américains déguisés en techniciens d'une superproduction hollywoodienne… Un thriller qui célèbre la puissance du cinéma. Ou un patriotisme bêta. Avis partagés. Critique : POUR On a beau s'attendre à tout dans la catégorie « film basé sur une histoire vraie », il y a de quoi rester bouche bée. Merci, donc, à Bill Clinton, qui a déclassifié en 1997 cette incroyable affaire d'Etat, top secret depuis 1979. Le 4 novembre de cette année-là, l'ambassade américaine de Téhéran est prise d'assaut par des Iraniens que l'ayatollah Khomeyni a galvanisés en désignant les Etats-Unis comme ennemi numéro un de sa révolution islamique. Une longue prise d'otages s'ensuit. Six Américains parviennent à en réchapper et se réfugient à l'ambassade du Canada. Un spécialiste de la CIA imagine alors un plan imparable pour les exfiltrer : débarquer à Téhéran en se faisant passer pour un producteur en charge des repérages d'un grand film de science-fiction baptisé « Argo ». Et repartir avec les six Américains transformés en techniciens du cinéma portant passeport canadien. Est-ce la peur du ridicule qui motiva le classement top secret ? On peut se le demander, et Argo laisse assez plaisamment planer le doute, tout en nous embarquant dans le récit haletant d'une impossible mission. Ce troisième film mis en scène par l'acteur Ben Affleck (après Gone baby gone, 2007, et The Town, 2010) est un exercice d'habileté étonnant. Un grand slalom entre sombre réalité et vraie loufoquerie du show-business. Dans le Téhéran de 1979, on pend des gens dans les rues. Et le spécialiste de l'exfiltration (joué par Ben Affleck lui-même) arrive là avec son story-board de film à la Star Wars, pour éviter à six Américains de finir au bout d'une corde. Le cinéma est-il capable de cela ? Son pouvoir de fascination est-il assez grand pour résoudre, par magie, une situation face à laquelle la puissance militaire se trouve désemparée ? Cette force du cinéma hollywoodien est le beau sujet d'Argo mais aussi un étonnant moteur de suspense. Du coup, la dimension politique, évidente et pleine de résonances aujourd'hui, passe presque au second plan. Un paradoxe est en tout cas pointé : le mensonge est-il dans le vrai-faux film ou dans la révolution iranienne ? Qu'est-ce qui est le plus truqué ? Avec une ferveur sympathique, Ben Affleck nous dit que la vérité et la foi sont du côté du cinéma. C'est cette croyance-là qui compte. Il en fait une affaire personnelle. Là, il dépasse l'habileté, il met en jeu quelque chose de plus secret : son rapport à sa propre image. Pour s'être retrouvé trop souvent dans de mauvais films, Ben Affleck a en effet très vite traîné une réputation d'acteur bidon. Quand il reçut un prix d'interprétation au festival de Venise, c'était pour Hollywoodland (2006), où il jouait un comédien auquel personne n'avait jamais cru, un pantin abandonné à la télé dans le rôle cruel de Superman... Pas crédible, Ben Affleck a redoré son blason en devenant réalisateur. Et avec Argo, il affronte franchement cette question de la crédibilité en se donnant le rôle du professionnel de l'exfiltration sur qui pèse le soupçon de n'être qu'un rigolo dans une opération tellement fantaisiste qu'elle semble une authentique supercherie. Comme son personnage, l'acteur-réalisateur se met en position de devoir faire ses preuves, convaincre les incrédules. Et il y parvient. Son film est d'ailleurs un grand succès aux Etats-Unis et les rumeurs d'oscars vont déjà bon train.— Frédéric Strauss CONTRE Ce doit être le syndrome Camille redouble : on entre dans une salle qui projette Argo et hop !, telle Noémie Lvovsky, on plonge dans le passé. Dans l'Amérique d'avant Les Hommes du président, de Cérémonie secrète et de A cause d'un assassinat. Dans le cinéma héroïque et patriotique des années 1950, avec basanés barbus à la place de Soviétiques fielleux. Seul but des tâcherons hollywoodiens de l'époque : prôner la supériorité physique et morale de la nation et imposer cette propagande sur les écrans du monde entier, au nom du bien commun. Ce cinéma épouvantable, que l'on croyait disparu depuis la fin de la guerre froide, semble revenir en force dans une Amérique en crise, terrorisée par le terrorisme et menacée par l'extrémisme du Tea Party... On reste étonnamment navré, tout de même, de voir Ben Affleck, acteur moyen mais réalisateur plutôt doué (Gone baby gone), se faire le héraut de cet héroïsme bêta et suranné. On ne saurait trop lui conseiller de boucler son retour vers le passé et de réintégrer 2012 au plus vite. — Pierre Murat